La loi Climat et Résilience de 2021 a introduit un concept révolutionnaire dans l’aménagement du territoire français : le Zéro Artificialisation Nette (ZAN). Cette mesure audacieuse vise à réduire considérablement la consommation d’espaces naturels, agricoles et forestiers d’ici 2050. Sa mise en œuvre soulève cependant de nombreuses interrogations, tant sur le plan économique que sur celui de l’urbanisme. Comment réussir à concilier les impératifs de développement avec la nécessité de préserver notre environnement ? Quels sont les enjeux et les perspectives qu’offre cette nouvelle approche de l’aménagement du territoire ?
Le ZAN : un défi sans précédent pour l’aménagement du territoire
Le Zéro Artificialisation Nette représente une véritable révolution dans nos pratiques d’urbanisme. Cet objectif ambitieux vise à réduire de moitié la consommation d’espaces naturels d’ici 2030, pour atteindre une artificialisation nette nulle en 2050. Cette mesure soulève de nombreuses interrogations, notamment quant à sa définition précise et son application concrète.
Eric Charmes, sociologue et directeur de recherches à l’École nationale des travaux publics de l’État, met en lumière la complexité de la situation. Il explique que si la loi Climat et Résilience a posé les grands principes, la définition opérationnelle de l’artificialisation reste un véritable casse-tête. Selon ses propres termes : « Le législateur a été bien en peine de donner une définition opérationnelle, c’est-à-dire qui permette d’être utilisée pour faire des documents d’urbanisme. »
Cette difficulté a conduit à l’élaboration d’un décret en 2023, laissant au ministère de la Transition écologique la lourde tâche de développer une nomenclature précise. L’enjeu est considérable : il s’agit de déterminer avec précision ce qui relève de l’artificialisation et ce qui n’en relève pas, avec des implications majeures pour l’aménagement du territoire.
Les défis de la mise en œuvre du ZAN
La mise en œuvre du ZAN soulève plusieurs défis majeurs :
- La définition précise de l’artificialisation : Comment comptabiliser les espaces végétalisés en milieu urbain ? Où placer la frontière entre espace naturel et espace artificialisé ?
- L’équilibre entre densification urbaine et préservation des espaces verts : Comment revitaliser les centres-villes tout en préservant des espaces de respiration essentiels ?
- La gestion des droits à construire : La création d’espaces verts en ville peut-elle ouvrir des droits à construire en périphérie ? Comment gérer cet équilibre délicat ?
- L’adaptation des pratiques d’urbanisme : Comment opérer la transition d’un urbanisme « infini » vers un urbanisme circulaire, plus respectueux de nos ressources ?
Ces questions mettent en lumière l’ampleur du changement de paradigme que le ZAN implique dans notre façon de concevoir et de pratiquer l’aménagement du territoire.
Aspect | Défi |
---|---|
Définition | Élaboration d’une nomenclature précise de l’artificialisation |
Urbanisme | Transition vers un urbanisme circulaire |
Gestion | Équilibrage entre densification et préservation des espaces verts |
Droits | Définition des droits à construire en fonction des espaces végétalisés |
Vers un urbanisme circulaire : repenser notre approche du foncier
Jean Guiony, directeur adjoint d’Action Cœur de Ville, apporte un éclairage pertinent sur la nécessité de repenser en profondeur notre approche du foncier. Il souligne l’importance de passer « d’un urbanisme infini dans un monde fini, vers un urbanisme circulaire ». Cette transition fondamentale implique de ne plus considérer le foncier comme une ressource à usage unique, mais comme un bien précieux à réutiliser et à valoriser de manière durable.
Cette approche circulaire s’avère d’autant plus cruciale que la vacance des biens (logements, commerces, patrimoine, bureaux) ne cesse d’augmenter partout en France depuis des années. Guiony met en lumière cette problématique : « Ce sont les déchets de ce mode de consommation linéaire et aujourd’hui on doit passer à un mode de consommation circulaire où on ne jette plus du foncier une fois qu’il a été utilisé. »
L’exemple d’Angoulême : un cas d’étude révélateur
Pour illustrer concrètement cette problématique, Jean Guiony cite l’exemple édifiant d’Angoulême, une intercommunalité de 140 000 habitants qui a réalisé un exercice pionnier de recensement de ses friches :
- Surface totale de friches : 4200 hectares
- Surface de friches déjà artificialisées : 2400 hectares
- Potentiel de réutilisation : 240 hectares par an sur les 10 prochaines années
Ce cas d’étude met en lumière l’ampleur du défi, mais aussi les opportunités considérables que présente une gestion plus rationnelle et durable du foncier. La réutilisation de ces espaces déjà artificialisés pourrait permettre de répondre aux besoins de développement tout en préservant précieusement nos espaces naturels.
Les enjeux économiques du ZAN : entre contraintes et opportunités
La mise en œuvre du ZAN soulève des questions économiques fondamentales. La raréfaction du foncier disponible pour de nouvelles constructions pourrait entraîner une hausse significative des prix des terrains, ce qui aurait des répercussions en cascade sur l’ensemble du secteur immobilier et de la construction.
Cependant, cette contrainte pourrait aussi se révéler être un formidable catalyseur d’innovation et de créativité dans le secteur de la construction et de l’aménagement. Nous pourrions assister à l’émergence de nouvelles techniques de construction plus compactes et plus respectueuses de l’environnement, ainsi qu’à une revalorisation intelligente des friches industrielles et urbaines.
Les secteurs impactés par le ZAN
Le ZAN aura des répercussions profondes sur de nombreux secteurs de l’économie :
- L’immobilier : Face à la raréfaction du foncier, le secteur devra se réinventer en profondeur, en privilégiant la rénovation et la densification urbaine intelligente.
- L’agriculture : La préservation des terres agricoles pourrait favoriser l’essor d’une agriculture périurbaine et de proximité, redynamisant les circuits courts.
- L’industrie : Les entreprises devront repenser leur stratégie d’implantation, en privilégiant peut-être la réhabilitation de friches industrielles, source de nouvelles opportunités.
- Les services : Le développement de services de proximité pourrait être stimulé par une densification urbaine maîtrisée, redynamisant le tissu économique local.
Ces changements représentent à la fois des défis considérables et des opportunités inédites pour les acteurs économiques, qui devront faire preuve d’agilité et d’innovation pour s’adapter à ce nouveau paradigme de l’aménagement du territoire.
Un nouveau modèle de développement territorial à inventer
Le ZAN nous contraint à repenser en profondeur notre modèle de développement territorial. Il ne s’agit plus simplement de limiter l’étalement urbain, mais bien de concevoir un nouveau modèle d’aménagement qui concilie harmonieusement développement économique, qualité de vie et préservation de l’environnement.
Cette transition majeure nécessite une collaboration étroite et une synergie entre tous les acteurs du territoire : collectivités locales, entreprises, associations et citoyens. Elle implique également de développer de nouveaux outils de planification et de gestion du foncier, ainsi que de nouvelles compétences en matière d’urbanisme et d’aménagement du territoire, adaptées aux défis du 21ème siècle.
Le ZAN représente donc un défi colossal pour notre société, mais aussi une opportunité unique de réinventer notre rapport au territoire et de construire des villes plus durables, plus résilientes et plus harmonieuses. C’est un chantier de longue haleine qui nécessitera de la créativité, de l’innovation et une volonté politique forte pour être mené à bien et transformer durablement nos territoires.